mardi 16 juin 2009

Tout ce que j’en dirai sur Le Pont de la Survivance!

Difficile d’être insensible devant tant d’ampleur! Devant tant de richesse! D’entrée de jeu, déjà la scénographie nous éblouit, par sa simplicité, par son épuration menant tout droit à son pouvoir d’évocation. La structure, j’allais écrire la sculpture, d’un escalier en fer forgé, évoquant à la fois le pont Régent et la richesse de la demeure Todd s’avère une trouvaille ingénieuse, tout autant que ces duplicatas de tronc de femmes servant de têtes à chapeau. En peu de choses le ton de la pièce est donné : l’intensité.

Sur fond noir se dessine une histoire sombre. Le jeu des éclairages ne vient que nuancer efficacement les dialogues des comédiens. Au fur et à mesure, les éclairages s’intensifient avec le déroulement d’un drame finement mené. Maintes fois, ils rappellent cette lumière au bout du tunnel, à la manière d’un train s’amenant menaçant dans la nuit : éblouissant lors de la découverte de Charlotte par Ignace, ou lors de l’incarcération de Jean- Baptiste derrière la grille de sa prison.

Simples aussi mais aussi forts représentatifs, tous ces costumes beaux et bien faits qui s’écartent si peu des contrastes de noir et de blanc. Quelques robes seyantes rouges et striées pour bien marquer la couleur du sang, de ce sang qui coulera, on le sent.

Dans l’action, des personnages évoluent sur une gamme de sentiments et d’émotions contradictoires qui viennent nous chercher tout de suite en partant. De ces conversations déchirantes entre une mère, Charlotte et sa fille, Tharsile, nous comprenons l’histoire dramatique de leurs amours mutuelles, déchirées et déchirantes. Des comédiennes d’une gamme élevée de talent pour poser des gestes parfois si tendres, parfois si révoltés. France Clavet nous en impose par sa maîtrise du texte et sa gestuelle lente et de grande bonté. Avec elle, sa fille Tharsile, Nadine Mercier, par le même doigté, nous entraîne dans un enchevêtrement de sentiments controversés de fille aimante, d’amoureuse éperdue, de femme trompée, de mère Courage.

D’ailleurs aucun des comédiens ne faisant défaut dans cette représentation, force n’est que de constater leur talent certes, mais aussi leurs effort, ténacité et travail, pour parvenir à un si haut niveau de réalisation. Tous à des degrés divers mettent en scène des personnages crédibles et attachants. Jean-Baptiste par l’étendue de ses interventions demeure le pivot central et par la force de ses répliques ou plutôt parfois par leur mollesse, nous entraîne avec lui dans sa médiocrité et sa personnalité trouble et double. Bienheureux Jérôme Landry!

Tout autour se meut un petit monde ordinaire dépassé par l’envergure du drame qui défile sous ses yeux. Cher Boulet- Lizotte qui ne peut que troquer par amour déçu le thé à la bergamote de sa belle Princesse Charlotte par le rhum de l’amant vieillissant déserté. Et notre Ignace Gabriel toujours aussi remuant dans ses monologues intérieurs et sa mouvance naturelle, toute capacité à venir toucher nos propres questionnements.

Cré Madame St-Pierre, si telle qu’on se l’imagine dans sa sollicitude de voisine amie! Petite Norbelle qu’on croit totalement dans ce rôle d’opposition à sa mère, trop lourd pour une enfant: Qu’est-ce d’être femme à la fois épouse d’assassin et mère de ses huit enfants? Ou encore fille de père meurtrier et mari de sa mère? Que peut bien en penser Mlle Maçon chapelière dans la boutique de son patron violeur, morte des suites de son agression. Elle dont les propos ne furent qu’à peine rapportés au procès
faute de témoin oculaire? On aime cette demoiselle dans sa sincérité.

Et puis comment ne pas parler de la trame sonore moderne qui ajoute au suspense, de cette dynamique de changement de décor tout en douceur dont le théâtre des Deux Masques est passé maître, de la juxtaposition des presque chorégraphies ou mimes, à la mort de Charlotte entre autre, des éclairages, des musiques, des voix, celle en coulisse de Jean-Noël Laprise, juge stentor, tous éléments qui constituent un heureux mélange de tragédie grecque et de mélodrame néo écossais?

Ce que j’en dis surtout, c’est cette maîtrise du texte et ce brio de Catherine Chevrot qui mérite d’être soulignés, retenus, louangés. Des années d’un travail acharné, souvent dans l’ombre, ma foi quasi toujours. Une foi inébranlable et une détermination hors du commun! À l’instar du rêveur qui plutôt que de s’ancrer à une illusoire loterie, se consacre corps et âme à son espoir, on peut affirmer qu’elle a gagné aujourd’hui ses épaulettes. Une petite boucle de ceinture avec ça! Qu’enfin elle en retire ses lettres de noblesse.

Pour avoir regardé jaillir cette petite bulle d’air du fond de son verre d’eau, on peut désormais reconnaître à l’équipe des Deux Masques son statut de théâtre amateur de grand calibre confirmé. De l’entêtement, de la passion, des Delisle, Boulet frères, Clavet, Lachance, Gaudreau père et fils, Mimeault, Landry, Mercier, Gagné, Bossé…etc, je ne peux tous les nommer, le rêve est devenu ballon gonflable, capable de s’envoler au-dessus d’océans, dans des cieux encore inexplorés. Il faut leur reconnaître leur polyvalence et leur diversité et encourager cette belle relève qui ne demande qu’à continuer de s’élever. Déjà le public le magnymontois leur est acquis. Avec le Gala des Arlequins, ils gravissent un échelon qui mérite d’être poursuivi …pour la gloire de tous n’est-ce pas?

Une équipe d’artistes qui coopèrent, pleine de désirs, qui voit le jour depuis plusieurs productions mérite d’être encouragée, saluée, soutenue et nul n’est besoin que pour entrer dans l’histoire de Montmagny elle passe par les portes de l’enfer. Foi de Corriveau!
Denise Corriveau
St-Pierre

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